Littérature > : Atelier Médiathèque Lisieux, par Annie Bons

2014 11 22 Le toucher. La pâte de nos souvenirs.

2014 11 22
Atelier d’écriture, médiathèque de Lisieux
Animé par Annie Bons

Thème sensoriel :
Le toucher

1) Entrée en matière :
Une phrase rapide d’entrée en matière : une petite sensation agréable de ce matin (une phrase, ou deux minutes)

Petit déjeuner. Un léger frétillement derrière moi. Discret comme un chuintement, devenant rythmique. On dirait un chant d’oiseau lointain, un cri cri de grillon exotique, ici, dans ma cuisine. Je me retourne. Dans la petite casserole rouge, l’œuf à la coque s’est fendu. Des bulles d’air s’en échappent et dansent, matinales, contre la paroi.

2) Toucher quelque chose dans un petit bol, recueillir les sensations, les analyser, ouvrir les yeux : ce sont des graines de sésame. Porter le bol à son voisin.
Décrire ces sensations en quelques mots. (2 minutes)

Effrité, sableux, légèrement gras. Comme du gros sel de cuisine qui serait plus fin. Moins râpeux que du sable sur la pulpe des doigts, ne se dissocie pas lorsqu’on le frotte entre le pouce et l’index.

3) Ecrire un souvenir de sensation de quelque chose qu’on touche et qui glisse entre les doigts. A la fois granuleux et fluide. (20 minutes)

La pâte de nos souvenirs

Ce qui glisse entre les doigts, est affaire de cuisine et de temps. Les deux sont intimement liés, dans la pâte de nos souvenirs. La cuisine a commencé très tôt, avant qu’on ait la permission de toucher au feu et aux casseroles. Alors, on imitait maman, à la plage, on attrapait du sable à pleines poignées, on y rajoutait un demi seau d’eau encore écumante. On mélangeait, on écrasait, on moulait, on tapotait, on formait, on aplatissait, on recommençait, encore et encore. L’œuvre finale, tarte aux moules, cake aux algues, ou pizza de coques, était moins importante, tout compte fait, que l’acte de malaxer cette fascinante matière première. Plus tard, quand on eut le droit de toucher à la farine, la vraie, la douce et blanche farine, on aidait maman à verser la poudre magique dans le saladier, on y cassait les œufs, avec ou sans bouts de coquille, et, pendant qu’on pétrissait ce mélange visqueux, les yeux fermés, on était au paradis. Le sablier du temps s’égrenait, silencieux, à nos côtés, et lorsqu’on regardait à nouveau, face au saladier, les mains plongées dans la farine mouillée, les carreaux de la cuisine avaient changé de couleur, la fenêtre de place, le mobilier de style. Ces mains, qui nous ressemblaient sans être tout à fait les mêmes, n’étaient plus les nôtres. Elles jouaient, elles aussi, avec la texture de la pâte. Elles se frottaient enfin, se nettoyaient, comme les deux pattes avant d’un insecte, afin d’en récupérer les petits grumeaux accrochés aux phalanges. On remonte alors les yeux, et, de l’autre côté de ces mains, on y voit sa fille, sa fille adorée transformée en cuisinière apprentie, à nos côtés. Et de nouveau, on est au paradis.

4) Associer un élément et une sensation
De préférence liée au toucher. Passer le papier à quelqu’un d’autre, en recevoir un de quelqu’un d’autre, idem, et écrire à partir de cette association qu’on reçoit. (10 minutes)

Je donne : « Humus. Humidité et légèreté »
Je reçois : « Chaleur du bois ciré »

Bété, acajou, iroko, tek. Jaune, carmin, marron rouge, beige. Notre salon est un échantillon de forêt tropicale. Ces quatre bois exotiques, nobles et chaleureux, transformés en étagères de salon, table de jardin, tour de piscine, statues tribales, doivent, pour survivre, être cirés. Sous ce climat tropical, tout bois non ciré moisit aussi rapidement qu’une branche tombée de l’arbre, se réduit en poussière sous l’attaque sans pitié des grandes termites, et se creuse de galeries plus complexes que celles du métro, là-bas, en métropole, justement. Je déambule dans le salon et passe le chiffon, tout doucement, sur les planches apprivoisées. Je frotte les accoudoirs et les dossiers avec tendresse. Je caresse les courbes des visages ethniques, hommes et femmes confondus. Le bois me répond. Une chaleur presque humaine en émane. La pièce sent bon, un mélange de miel, de térébenthine et d’huile de coco. Ma main tarde à se détacher de ce bois, chaud, vibrant, ciré, vivant, incontestablement.